Elements de Style

Quoi de plus naturel que de commencer un blog par écrire un article sur l’écriture elle même. Sans prétentions, se laissant emporter par cet acte singulier d’aligner des lettres et de créer des mots, l’écriture émerveille par son apparente simplicité et sa puissance. Ecrire sur les choses, écrire sur écrire, écrire simplement une pensée complexe, faire sonner et raisonner son concept, jouer avec les sons, jouer. Définir semble si difficile tant la structure est entrelacée. Utiliser l’écriture sans savoir. Toute personne raisonnable s’y abstiendrait. Et pourtant…

Writing is an act of faith, not a trick of grammar. William Strunk et E.B. White livrent dans The Element of Style leurs pensées sur le travail d’écriture. Le livre est écrit en anglais, mais certaines remarques semblent s’appliquer de manière général. Ecrire est fastidieux, tant les règles à respecter se succèdent; écrire est libérateur, si pour un court instant l’illusion d’avoir compris se fige et métabolise ces mots qui, plus tard, pourront être relus. Aussi bien, la tendance actuelle à rapporter « les faits et seulement les faits » s’inscrit davantage dans une logique formelle de l’écriture, où la structure et la rigidité du discours est inspiré de la rigueur arithmétique. Se défausser, laisser les chiffres « parler d’eux même », c’est avant tout perdre foi en l’écriture au profit d’un jeu de grammaire. Sujet-verbe-complément mute en variable-operateur-valeur. Les substitutions opèrent et le calcul s’intensifie pour décider qui de ces équations en viendrait à perturber le système. A ce jeu là, la machine aura tôt fait de mettre un peu d’ordre.

Ecrire c’est toucher du doigt le mystère même de la rigueur. C’est emprunter dans l’infini des possible un des chemins qui semble convenir. Est ce le plus court? Probablement pas. Le plus beau? Si seulement. Où va-t-il? Un peu plus loin. Le style est un choix, une géométrie, une topologie. Choisir ses mots, c’est voir ici une vaste étendue plane, monter là-bas une colline, avancer timidement dans une zone inconnue. Les mots sont farceurs après tout. Comment se fait-il que ‘court’ soit court tandis que ‘long’ est court? Alors, est-ce si sérieux? Jouons donc ensemble!

Ce qui est fascinant dans l’écriture, c’est la puissance génératrice du language. Un alphabet fini laisse place à un champ infini de constructions. L’aspect grammatical viendrait supporter et expliquer la fonction logique de chaque mots. Le style accompagne et met en relation. Ecrire, c’est croire en cette idée que la phrase contient une dynamique propre, presque physique, qui agirait sur le sens possible de chaque mots.

Cette symbiose entre rigueur et style apparait aussi sous une forme plus moderne. Ainsi, The Element of Programming Style, s’attache aux règles générales à adopter pour écrire un programme informatique. Le style est présenté comme une structure nécessaire pour être lu et compris par soi même ou un autre. La différence, cependant, reste que ces règles stylistiques sont dictées dans un langage autre que le langage de programmation. La machine est exclue du processus stylistque et ne peut que raisonner fonctionnellement (et non relationnellement) sur son langage. Quels phénomènes informatiques pourraient traduire et représenter le style propre à un programme? À quand un langage de programmation qui prendrait le concept stylistique au sein même de son système formelle?